Discours de l’Envoyé spécial Huang Xia à la réunion de haut niveau du Conseil de sécurité des Nations Unies

Huang Xia, Envoyé spécial pour la région des Grands Lacs, face au Conseil de sécurité sur la situation dans la région des Grands Lacs. Nations Unies, New York, 20 octobre 2021. UN Photo/Eskinder Debebe

20 oct 2021

Discours de l’Envoyé spécial Huang Xia à la réunion de haut niveau du Conseil de sécurité des Nations Unies

New York, 20 octobre 2021

Excellence, Madame la Ministre des Affaires étrangères du Kenya,

Présidente du Conseil de sécurité,

Excellences, Mesdames et Messieurs les Ministres,

Distingués Membres du Conseil,

1. Permettez-moi tout d’abord, Madame la Présidente, de vous souhaiter une bonne fête nationale des héros : Happy Mushuuja Day ! je souhaiterais ensuite, Madame la Présidente, vous féliciter pour l’accession de votre pays à la présidence du Conseil de sécurité pour ce mois d’octobre et de vous remercier d’avoir convoqué cette réunion de haut niveau consacrée à la région des Grands Lacs. Cette initiative, comme celles qui sont également prévues ce mois sous les auspices de votre pays, témoigne, s’il en était encore besoin, de l’engagement du Kenya en faveur de la région et des grandes questions qui préoccupent le continent africain.

2. Permettez-moi enfin, une fois n’est pas coutume, de dire un mot sur un événement culturel important et de me réjouir avec vous d’une bonne nouvelle venue de Stockholm. Le 7 octobre dernier, cela ne vous aura pas échappé, le Comité Nobel a décerné le Prix Nobel de littérature 2021 au romancier tanzanien Abdulrazak Gurnah. J’adresse mes chaleureuses félicitations au lauréat de ce prestigieux prix qui nous invite, par son œuvre, à porter un regard lucide et plein de compassion à l’endroit de milliers de réfugiés. Si cette actualité littéraire jette une lumière crue sur une question douloureuse pour la région, elle est aussi une occasion de célébrer la richesse intellectuelle et artistique de l’Afrique de l’Est et des Grands Lacs et de ces témoins privilégiés de notre temps que sont les écrivains.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

3. Le thème de notre réunion aujourd’hui, « Soutenir l’engagement renouvelé des pays de la région des Grands Lacs en faveur de la paix et du développement », est significatif et opportun. Significatif parce qu’il rappelle que les pays de la région restent engagés en faveur de la paix et du développement ; opportun, parce qu’il invite la communauté internationale à soutenir ces efforts, en tenant compte à la fois des progrès accomplis et des défis qui persistent. Tel est l’esprit qui m’anime dans l’exécution de mon mandat. C’est aussi le fil rouge du dernier rapport du Secrétaire général sur la mise en œuvre, ces six derniers mois, de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo (RDC) et la région. Je souhaite mettre en lumière ici quelques traits saillants.

4. J’aimerais d’abord mettre en exergue la poursuite du dialogue politique entre les pays de la région. Les consultations ministérielles et la multiplication des visites d’États ont donné une impulsion aux relations bilatérales entre les pays de la région comme en témoigne la revitalisation des cadres de coopération dans des domaines aussi variés que la sécurité, le commerce, les infrastructures, les transports, les ressources naturelles et l’énergie. On a ainsi assisté à une accélération des efforts d’ouverture et de rapprochement avec un ensemble de gestes politiques et symboliques encourageants. Je pense aux rencontres bilatérales entre le Président de la RDC et ses homologues du Burundi, du Kenya, du Rwanda et de l’Ouganda; aux différentes tournées entreprises dans la région par le Président du Burundi et la Présidente de la Tanzanie; et bien entendu, à l’engagement constant du Président de l’Angola, président en exercice de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), à soutenir les efforts de réconciliation nationale en République centrafricaine aux côtés de ses pairs. Par ailleurs, je salue le déroulement pacifique des élections en Zambie et la passation du pouvoir sans heurt entre le Président sortant et le Président entrant.

5. Je voudrais ensuite saluer les progrès enregistrés en matière de coopération sécuritaire afin de parvenir à bout des groupes armés, ces forces dites négatives, qui sévissent dans l’Est de la RDC. Je saisis cette occasion pour exprimer, Madame la Présidente, ma sincère gratitude à votre pays, le Kenya, pour le déploiement de troupes au sein de la MONUSCO.

6. Un aspect important de ces efforts réside aussi, au niveau régional, dans le lancement du Groupe de contact et de coordination - chargé de coordonner la mise en œuvre des mesures non militaires en complément des opérations militaires contre les forces négatives. Cette initiative que mon Bureau soutient aux côtés des autres institutions garantes de l’Accord-cadre implique, je le rappelle, le Burundi, la RDC, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie. Concrètement, ces mesures visent à mettre en œuvre de manière concertée des incitations en vue de la reddition et du désarmement volontaire des forces négatives opérant dans l’Est de la RDC. Ces mesures viendront en complément des efforts menés par la RDC à travers son Programme de Désarmement, Démobilisation, Relèvement Communautaire et Stabilisation (PDDRC-S). C’est pourquoi, mon Bureau travaille avec la MONUSCO et d’autres entités afin de déployer une cellule opérationnelle à Goma, qui sera chargée de coordonner sur le terrain ces initiatives prometteuses.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

7. En dépit de ces avancées, des défis demeurent. La persistance de l’activisme des groupes armés constitue toujours la principale menace à la paix et à la stabilité de la région. On constate une recrudescence d’attaques menées par les groupes armés, qu’il s’agisse des ADF dans l’Est de la RDC ou celles lancées par les RED-Tabara contre l’aéroport de Bujumbura en septembre dernier. Cette violence continue d’avoir de graves conséquences sur la situation humanitaire déjà fragile, ainsi que sur la stabilité socio-économique des zones affectées.

8. Ces forces négatives demeurent également impliquées dans l’exploitation et le commerce illicites des ressources naturelles dont les revenus financent leur approvisionnement en armes et leurs recrutements. Comment y mettre fin ? C’est évidemment une vieille question qui hante tous ceux qui s’intéressent à la région. C’est en vue de renouveler notre réflexion collective sur cette question difficile que mon Bureau, en collaboration avec la CIRGL et le Gouvernement du Soudan, a coorganisé un atelier sur les ressources naturelles à Khartoum du 31 août au 2 septembre dernier.

9. Cet atelier a débouché sur 31 recommandations, à la fois ambitieuses et réalistes, visant notamment à briser le lien entre la contrebande de certains minerais de grande valeur et le financement des groupes armés. Outre des actions en vue d’une plus grande appropriation nationale de l’Initiative régionale de lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles de la CIRGL, les participants, venus de toute la région et au-delà, ont proposé que mon Bureau et le Secrétariat exécutif de la CIRGL entreprennent un plaidoyer politique pour sensibiliser les pays de transit et de destination des minerais faisant l’objet de contrebande à appuyer les efforts de la région. Je ne doute pas, Madame la Présidente, que les distingués membres du Conseil feront également des propositions importantes dans le cadre de nos discussions d’aujourd’hui, qui pourront nourrir les efforts de la région.

10. Je ne saurais parler de défis qui affectent la région sans dire un mot au sujet de la persistance de la pandémie du COVID-19 qui, dans une certaine mesure, contribue à l’exacerbation des fragilités socio-économiques préexistantes. Selon l’Organisation mondiale de la santé, seulement 36 millions de doses de vaccins ont été administrées à ce jour dans une région qui compte près de 450 millions d’habitants. Je réitère donc l’appel lancé par le Secrétaire général pour plus de solidarité à l’égard des pays en voie de développement, afin de faciliter l’accès aux vaccins et de renforcer les systèmes et structures sanitaires existants.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

11. Répondre efficacement à ces défis, tout en soutenant les efforts positifs en cours, exigera une approche concertée des États de la région, de la société civile, des organisations régionales, des partenaires internationaux et des Nations Unies. Telle est la logique qui sous-tend le Plan d’action de la Stratégie pour la consolidation de la paix, la prévention et le règlement des conflits dans la région des Grands Lacs que mon Bureau a élaboré en juillet dernier lors de consultations élargies. Cette approche inclusive, qui accorde aussi une place centrale à l’engagement des femmes et des jeunes, sera maintenue tout au long de la mise en œuvre de ce Plan d’action afin de favoriser un alignement sur les priorités des États et des peuples de la région.

12. J’aimerais à cet égard réitérer mon engagement à travailler étroitement avec toutes les entités onusiennes concernées dans la région ainsi qu’avec le Fonds pour la Consolidation de la Paix en vue d’assurer la pleine mise en œuvre de ce Plan d’action. Je voudrais également appeler le Conseil et plus largement la communauté internationale à nous soutenir afin de nous permettre de contribuer efficacement à la consolidation de l’élan positif dans la région, à travers les initiatives identifiées dans ce Plan d’action.

13. Lorsque l’on considère de près les évolutions récentes dans la région, on constate que cet élan positif est le fruit d’initiatives qui répondent parfaitement aux objectifs de l’Accord-cadre et du Pacte de la CIRGL de 2006. C’est pourquoi il est capital que les pays de la région mettent en œuvre les accords bilatéraux signés récemment mais qu’ils poursuivent également, au niveau régional, l’exécution d’engagements pris aux titres des instruments régionaux et internationaux.

14. Dans cet esprit, je me félicite des réunions au Sommet importantes à venir, en particulier l’engagement de la RDC d’abriter le 10ème Sommet du Mécanisme régional de suivi de l’Accordcadre à Kinshasa en décembre prochain. Ce Sommet sera l’occasion pour les leaders de la région de mesurer ensemble le chemin parcouru depuis le dernier Sommet de Kampala en 2018, de voir comment consolider les acquis récents et de donner des orientations sur les mesures à prendre pour plus de stabilité et plus de développement dans la région.

Excellences, Distingués Membres du Conseil,

15. Je voudrais conclure en rappelant que la région des Grands Lacs se situe à la croisée des chemins. La pandémie du COVID-19 qui a exacerbé certaines fragilités a toutefois démontré la résilience des sociétés de la région. Les initiatives bilatérales et régionales attestent de l’émergence d’une communauté de destin consciente de la plus-value du dialogue et de la coopération comme instruments de bon voisinage. Plus que jamais, il est nécessaire de consolider durablement ces acquis tout en s’attaquant fermement aux défis qui persistent. Le succès d’une telle démarche suppose de tirer les leçons du passé et de faire preuve d’imagination pour soutenir les populations de la région des Grands Lacs dans l’édification d’un présent et d’un futur meilleur. Je vous remercie.